lundi 29 novembre 2010

Rencontres

(suite de "Ce que j'aime dans les peintures de Marie")

Il y a l'animal qu'on achète et celui qu'on rencontre.
On peut se rendre dans une boutique et demander un chat comme ceci, comme cela, le choisir et le rapporter chez soi, puis le poser sur un meuble, à côté du bibelot.
Et puis il y a le chat qu'on rencontre, celui qui arrive chez vous quand ce n'était pas prévu, qui n'est pas vraiment beau, parfois un peu mal fichu, bref qu'on n'a pas choisi.
Un nouveau membre arrive dans la famille, qui vous adopte autant que vous l'adoptez, qui vous accueille chez lui quand vous croyez le prendre chez vous.
On apprend à vivre ensemble, quand on est séparé ça fait bizarre, et s'il disparaît on porte le deuil : ce n'est pas comme un bibelot qui se remplace.

Il en va parfois de même avec un tableau.
Beaucoup d'œuvres ont une fonction décorative : on les achète parce qu'elles correspondent aux couleurs que l'on veut, et qu'elles iront bien à l'endroit choisi. On les pose et les oublie. Très vite on ne les voit plus.

Et puis il y a la toile que tu rencontres, celle qui s'invite chez toi sans crier gare, qui trouve elle-même sa place, pas là où tu croyais, non non, plutôt ici, là où elle se sent bien.
Au début tu ne la trouves pas forcément très belle : elle est un peu trop comme ceci, pas assez comme cela, pas exactement comme tu voulais.
Et puis tu fais connaissance, elle rencontre ta femme et tes enfants, suscite débats et conversations, comme quand un petit dernier arrive dans la famille. Très vite tu n'envisages plus de t'en défaire : ce serait comme un abandon. Tu comprends alors que tu en es devenu responsable.
La toile s'installe dans ta maison, veille sur vous, communique de la joie, de la force, de l'inspiration. Souvent tu penses à elle. Et s'il arrive que tu l'envoies en voyage, pour une exposition, tu demandes de ses nouvelles tous les jours, pour t'assurer qu'elle va bien.

C'est ainsi que les peintures de Marie sont entrées dans nos vies.
Nous voulions un beau soleil safran, quelque chose de chaud, de rond, d'oriental, qui vienne réchauffer la maison en ce novembre pluvieux.
Mais Marie en a décidé autrement.
Sur sa première toile les couleurs sont vives mais le soleil est carré. Les coups de pinceau ont un côté géométrique qui contrarie l'idée de rondeurs que nous nous faisions.
Sur la seconde, les teintes sont grises et le soleil est couvert d'un voile bleu un peu terne. Il y a bien des orangés lumineux mais ils sont cachés en dessous, et surgissent ici et là, comme des rais de lumière entre les planches d'une palissade.

Je ne savais pas encore que ces tableaux étaient vivants. En plus des peintures sur la toile, Marie y avait mis ce souffle magique que les vrais artistes parviennent parfois à créer sur la grâce d'une inspiration, et qui s'impose à eux sans qu'ils comprennent comment.

"Tafraout"  et "A la brune" sont arrivées chez nous un peu timidement, "juste pour essayer" avait on dit.
Je les ai mises aux murs, mais elles n'ont pas aimé l'endroit alors elles se sont déplacées.
Tafraout est d'humeur conviviale, elle est venue près de la table pour partager nos repas.
A la brune est plus sauvage, elle s'est postée à la fenêtre. Et elles se sont fixées.

Depuis leur présence remplit la pièce d'une aura changeante selon l'heure du jour et le temps qu'il fait.
Nous sentons leur présence, elles nous donnent du courage, et des idées. Nous parlons beaucoup d'elles, chacun a ses avis.
En vérité ces toiles font bien plus qu'apporter de la chaleur : elles ouvrent des passages vers le pays secret des elfes et des licornes.
Elles nous donnent des envies d'opéra…

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