C'était en 2003, nous avions alors le bonheur d'écouter tous les matins la chronique d'un formidable écrivain qui révélait, outre ses talents reconnus d'écriture, une voix qui passait merveilleusement bien à la radio.
Cet écrivain était Martin Winckler, auteur du Best Seller "La maladie de Sachs", et sa chronique se nommait "Odyssée".
Notre homme y expliquait en quelques minutes des notions compliquées, mais qui dans sa bouche paraissaient subitement limpides, illustrant à merveille la formule de Paul Valéry “Le génie est celui qui m'en donne”.
A son écoute, les millions d'auditeurs de la radio nationale en apprirent beaucoup sur tout un tas de domaines, dont un qui me tient particulièrement à cœur : le logiciel libre et la libre circulation de la connaissance (1).
Et puis soudainement, coup de tonnerre sur les ondes, le directeur de l'antenne décide brutalement d'interrompre la diffusion de la chronique (2). Devant les protestations de l'auteur et des auditeurs, le patron autoritaire consent à fournir quelques explications à ce qu'il faut bien appeler une action de censure… Niant avoir cédé à la pression des labos, annonceurs de l'antenne, il tente alors de fournir quelques mauvaises raisons… parmi lesquelles celle que le chroniqueur aurait "piraté" le site internet de la radio !?
C'est à dire qu'il avait librement utilisé la page de sa chronique pour publier des textes sans rapport direct avec son émission !!!
Il faut dire qu'en 2003, les blogs n'existaient pas encore, et qu'il fallait s'y connaitre un peu en technique pour publier sur le web.
Qu'à cela ne tienne, je travaillais à l'époque avec un système de publication internet facile d'utilisation, le précurseur des blogs, et je décidais de prouver que Martin Winckler n'avait besoin de l'autorisation de personne pour s'exprimer sur le réseau mondial. Je lui proposais illico de créer son propre site. Nous ne nous étions jamais rencontrés mais l'affaire fut conclue en l'espace de 2 emails (3): j'allais créer un support, il y publierait ce qu'il voudrait. Pas d'argent dans l'histoire, nous ferions avec les moyens du bord : l'important étant de lui permettre de s'exprimer librement sur la toile.
Rassembler les premiers documents et les mettre en ligne ne me prit pas longtemps. J'appliquais au site un habillage assez sommaire, mais que j'avais sous la main et qui lui convint. Je lui expédiais les codes d'accès et un petit mode d'emploi, et c'était parti !
A un homme comme lui, il ne fut pas nécessaire d'expliquer les choses longuement. En quelques jours il s'était emparé de son journal électronique, qu'il baptisa “Winckler's Webzine” et anima avec la fougue juvénile d'un pionnier de presse qui lancerait son premier journal d'opinion.
Avec pour devise la maxime de Pierre Bourdieu “Si les intellectuels pouvaient contribuer à un peu moins relayer les forces sociales dominantes, ce ne serait déjà pas si mal”, il publia sur son site des centaines de textes. D'abord son point de vue sur "l'affaire Odyssée", puis des billets en rapport avec l'actualité médicale, des œuvres de jeunesse, des inédits et des textes sur la contraception (son domaine de référence en médecine). En quelques semaines le Webzine fit venir les visiteurs et visiteuses francophones du monde entier. Son succès ne s'est pas démenti depuis.
Depuis sa création, le Martin Winckler Webzine à publié plus de mille articles et
contributions sur le soin, la contraception, les séries télévisées et attire plus d'un million de visiteurs chaque année. La
section « Contraception et Gynécologie » est la plus visitée, certains articles (sur les règles ou la pilule) ont été lus près de 2 millions de fois.
A ce premier site ce sont ajoutés une page Facebook et deux blog "Cavalier des touches" et "l'école des soignants" également très visités.
Au détour de ses préfaces, Marc évoque souvent le rapport qu'il entretient avec ses lecteurs grâce à internet. Dans son dernier ouvrage, "Des brutes en blanc" (Flammarion, Oct. 2016), il déclare ainsi avoir reçu le nombre gigantesque de 10.000 courriers de visiteurs, qui lui ont fourni une base impressionnante de témoignages pour ses écrits.
Associant étroitement le succès de ses livres à celui de son site, les avis des éditeurs se partagent entre “c'est parce que ses livres se lisent beaucoup que son site est très visité” et “c'est parce que son site est très visité qu'il vend tellement de livres”…
De l'œuf ou de la poule, j'ignore qui dit vrai. Mais le succès conjoint de ses livres et de son site dément une crainte répandue dans l'édition selon laquelle la publication gratuite de textes sur le web nuirait à l'édition papier. Martin Winckler offre de nombreux textes sur son site, cela ne nuit pas à la vente de ses livres… bien au contraire !
Nous nous écrivons souvent et nous nous voyons parfois
lors de ses passages à Paris… qui ne sont plus si fréquents depuis qu'il
est parti vivre à Montréal. Mais nous conservons un complicité durable
née de cette aventure qui marqua nos deux existences : celle de la
naissance d'un site d'écrivain en forme d'étendard de la liberté
d'expression.
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1) A lire et à relire : les chroniques de Martin Winckler consacrées aux logiciels libres et au libre accès à la connaissance.
2) La première rubrique du Martin Winckler's Webzine relate en détail « L'affaire Odyssée sur france Inter ».
3) Martin Winckler raconte notre rencontre sur son site : « les 100.000 doigts du Docteur Winckler » et dans une interview donnée à Rue 89 : « Internet est ma fenêtre sur le monde ».
Photo de Vincent Berville : Martin Winckler me dédicace un livre en papier véritable.
3 commentaires:
Je ne sais plus à quelle date j'ai découvert le site de Martin Winckler.
Mais depuis c'est ma bible en matiere de contraception et j'adore sa position sur nombre de sujets.
Alors merci d'avoir été à l'origine de ce site.
Je suis aussi adepte de la circulation gratuite de l'information.
Alors faites passez!
Merci Vincent. Chaque jour, je mesure la liberté que vous m'avez apportée en montant le Webzine et en m'y donnant accès "clés en main". Quelle merveille de pouvoir écrire ce qu'on veut, quand on veut, et de pouvoir le partager avec qui le veut !
Bravo Vincent. Loyal et genereux. Comme je te connais.
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